Entreprendre au féminin : comment bien se lancer en affaires dans un contexte de crise.

Entreprendre au féminin : comment bien se lancer en affaires dans un contexte de crise. 

Quelles que soient leurs motivations personnelles, nombreuses sont les femmes qui chérissent le rêve de se lancer en affaires. Pourtant, s’il est communément admis qu’il n’y a pas de moment parfait pour franchir le cap car si on l’attend celui-ci ne viendra jamais, qu’en est-il dans le contexte de la crise actuelle où l’idée peut paraître particulièrement intimidante ? Entre obstacles systémiques et nouvelles opportunités qui s’ouvrent aux femmes entrepreneures, il est primordial de dresser le portrait de l’entrepreneuriat féminin au Canada dans cette nouvelle réalité économique afin d’assurer aux femmes, qu’elles soient en phase de prédémarrage, démarrage ou de pivot, leurs meilleures chances de succès. 

C’était tout l’enjeu de la discussion de cette conférence virtuelle organisée le 15 octobre 2020 par le Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal (CEIM) en partenariat avec le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE). 

Accueillies par Elsa Lebey (Directrice des communications du CEIM), nos trois conférencières, Julie Hubert (Présidente fondatrice de Workland), Tania Saba (Directrice du Pôle Québec et Communautés francophones du Canada, PCFE et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal et Professeure titulaire) ainsi que Sabine Soumare (Directrice marketing et communications à l’Institut de la diversité de l’Université Ryerson et Présidente fondatrice de dBrief Consulting) ont partagé leurs expertises, parcours et conseils. 

Des conférencières engagées dans l’entrepreneuriat féminin.

Toutes trois affichent une implication sans faille dans l’entrepreneuriat féminin, en commençant par Julie Hubert, dont le rêve de création d’entreprise a germé alors qu’elle n’avait que 10 ans est finalement devenu réalité après un passage dans le monde salarial. Tania Saba quant à elle, œuvre au développement du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE). Initié par l’Université Ryerson avant la pandémie dans le cadre d’une stratégie fédérale de soutien à l’entrepreneuriat féminin, ce portail vulgarise les études et les connaissances autour des stéréotypes, des difficultés et des parcours pour les mettre au service des femmes entrepreneures tout en relayant l’information aux ministères, organisations et autres institutions. Enfin, la double casquette de salariée et d’entrepreneure francophone de Sabine Soumare lui a permis de non seulement, comprendre les enjeux dont ces femmes font face, mais aussi de s’assurer que celles-ci reçoivent l’aide et le soutien dont elles ont besoin.

Tania Saba entre dans le vif du sujet en déclarant que « c’est le bon temps pour les femmes de se lancer en affaires ». D’une part, du fait du soutien stratégique à l’entrepreneuriat féminin aux niveaux fédéral, provincial et municipal. D’autre part, force est de constater que la société est entrée dans une nouvelle ère où on commence à considérer tout le potentiel de développer une économie nouvelle au-delà du simple critère financier. Mais qu’en était-il avant la pandémie de la COVID-19 ?

Retour sur l’état de l’entrepreneuriat féminin avant la crise.

L’entrepreneuriat féminin connaissait déjà un élan d’enthousiasme avant la COVID-19, même si, à quelques exceptions près, ces bonnes intentions ne se traduisaient pas toujours par des actions concrètes de soutien. C’est pour pallier ce manque que des initiatives gouvernementales ont été mises en œuvre avec pour objectif de doubler le nombre de femmes entrepreneures d’ici 2025. Il faut dire que la situation n’est guère glorieuse et les chiffres sont là pour l’attester. Le taux de femmes entrepreneures au Canada reste peu élevé (13 % sur le plan national contre 16,7 % au Québec). Ces dirigeantes d’entreprises sont majoritairement propriétaires de microentreprises (92 % de PME de moins de 20 salariés, dont 78 % travaillent à leurs comptes sans aucun employé) et on compte encore 37,4 % de travailleuses autonomes. Même lorsqu’elles ont réussi à croître leurs activités, les femmes exportent moins que les hommes (entre 2007 et 2017, on passe de 6 % à 11 % d’entreprises exportatrices). Autre fait marquant, l’entrepreneuriat n’est pas une vocation, mais plutôt une opportunité inattendue qu’elles ont su saisir. De fait, 70 % des femmes font le grand saut par accident et c’est de loin la première raison pour laquelle elles se lancent en affaires. 

Lorsqu’on se tourne vers les femmes autochtones, immigrantes ou qui appartiennent à des groupes des minorités ethnoculturelles ou racisées, on s’aperçoit que la situation est systématiquement plus difficile pour ces dernières. Alors qu’elles sont 40 % à vouloir se lancer en affaires (comparé à 14 % de femmes natives du Québec), très peu de femmes immigrantes réussissent. Quant aux femmes autochtones, 40 % d’entre elles travaillent à leurs comptes. Cependant, reste à savoir si elles le font par choix ou par dépit.   

Dernier fait saillant, malgré un niveau de scolarité plus élevé que les hommes, les femmes d’une manière générale sont encore sous-représentées dans le secteur des technologies. 

Crise actuelle : accélérateur ou frein au lancement en affaires ?  

Pour Julie Hubert, la crise actuelle a bouleversé la façon de faire les affaires. « Le monde est en pleine transformation », souligne-t-elle, avant d’ajouter que les femmes, par leur aptitude à rallier les gens et à trouver des solutions pour l’accomplissement d’une mission, peuvent pleinement tirer leur épingle du jeu en créant des entreprises qui amènent des solutions nouvelles à des problématiques qui viennent d’apparaître.

Cette vision optimiste est partagée par la majorité des femmes, qui à 78 %, font confiance à leur capacité à passer la crise. Une résilience extraordinaire lorsqu’on sait que les femmes entrepreneures, surtout en démarrage, sont encore plus vulnérables que les hommes face à la crise. Elles se retrouvent dans des secteurs très affectés par la crise comme la restauration, le service, l’hébergement ou encore le commerce de détail. Par conséquent, elles ont un plus grand besoin en termes de financement. 

C’est justement là où les organismes de soutien doivent jouer un rôle primordial pour permettre aux femmes d’aller de l’avant. De l’objectif pré-pandémie de doubler le nombre d’entrepreneures, on est aujourd’hui amené à devoir les sauver. Sabine Soumare encourage d’ailleurs les femmes à se rapprocher de ces organismes et des ressources disponibles car les défis dont elles font face sont communs. 

Je suis prête à me lancer : comment dois-je m’y prendre ? 

Pour Julie Hubert, le parcours entrepreneurial n’est pas tracé à l’avance. C’est en avançant et par la force des choses qu’on crée son propre chemin. Pour se donner tous les moyens de réussir, elle conseille aux femmes entrepreneures en démarrage d’utiliser la matrice d’affaires pour retranscrire leurs modèles d’affaires, de s’évertuer à bâtir un réseau propice aux collaborations et au développement des connaissances. Enfin, le financement est également un enjeu majeur pour toute entreprise en démarrage. 

Tania Saba souligne que la principale préoccupation des femmes entrepreneures sondées est d’obtenir un soutien pour les accompagner à amorcer ou à accélérer le virage numérique. Aussi bien en termes d’outils collaboratifs, de travail à distance, de commerce électronique ou même d’intelligence artificielle, leur besoin est important. S’ajoute à cela le fait que certains secteurs, comme le commerce de détail, ont dû pivoter brusquement du jour au lendemain. En deuxième position des préoccupations, on retrouve la nécessité d’adapter les modèles d’affaires à la nouvelle réalité. Cela nécessite notamment de puiser des conseils et du soutien auprès de son réseau local et international. Parce que l’union fait la force en temps de crise, des initiatives comme la Plateforme de partage du PCFE sont une aubaine. Enfin, le développement des compétences, aussi bien sur le plan de l’innovation et de la technologie, que de la compréhension des nouveaux processus pour mener les affaires, reste une préoccupation pour les femmes entrepreneures. L’écosystème entrepreneurial à travers les incubateurs à tout un rôle à jouer pour les accompagner dans ce sens. 

Pour Sabine Soumare, avant de se lancer dans cette belle aventure entrepreneuriale, il est nécessaire de prendre le temps de mûrir son idée, de comprendre son marché, ses clients et la concurrence, quitte à se faire accompagner par des organismes et épauler par des mentors pour bâtir les fondations nécessaires à une croissance pérenne. 

Le financement : encore et toujours le nerf de la guerre !

Sujet incontournable de toute conférence sur l’entrepreneuriat féminin, l’accès au financement reste un enjeu majeur pour les femmes entrepreneures. Julie Hubert revient d’ailleurs sur son parcours laborieux de recherche de financement lorsqu’elle a lancé son entreprise. Des investisseurs aux programmes gouvernementaux, elle a cogné à toutes les portes. Si sa pugnacité a fini par payer, elle se souvient encore du temps perdu à essayer de convaincre les investisseurs qui avaient plutôt tendance à juger les femmes sur leurs résultats et les hommes sur leurs potentiels. A contrario, les entités gouvernementales mettaient tout le monde au même pied d’égalité dès lors qu’ils remplissaient les critères. Mais encore fallait-il connaître les programmes existants pour soumettre son dossier. D’où la nécessité, selon elle, d’avoir un réseau pour agrandir ses connaissances des ressources existantes. 

Si le financement est un sujet aussi important et d’autant plus en cette période de pandémie, c’est parce que, comme l’indique si bien Tania Saba, 50 % des femmes sondées ont dit avoir besoin d’une aide financière pour passer la crise. Pourtant, elles ont eu moins accès que les hommes aux programmes gouvernementaux. La raison de ce paradoxe ? Les femmes font face à de nombreux obstacles dont un taux d’endettement trop élevé, des difficultés à faire valoir leurs qualifications aux programmes, à argumenter leurs besoins ou à trouver le bon organisme. Il faut aussi ajouter le manque d’écoute et de compréhension des interlocuteurs, le retard dans la production des rapports d’impôts ou encore parce qu’elles trouvent le processus chronophage. Par conséquent, lorsqu’elles en ont la possibilité, elles ont recours à leurs épargnes personnelles plutôt qu’aux institutions financières. Ces obstacles structurels, qui se retrouvent aussi bien dans la prise de décision, dans l’accueil et le traitement des dossiers ou de la préférence accordée à certains secteurs technologiques, écartent les femmes de l’accès au financement. 

Julie Hubert ajoute un autre obstacle, celui de l’évaluation des dossiers d’entreprise par les financiers qui pénalisent l’économie circulaire prônée par les femmes. Or avec la COVID-19 on assiste à un besoin de réinvestir dans les initiatives communautaires. Une lueur d’espoir pour espérer voir les mentalités évoluer lors de l’évaluation des dossiers. 

Pour Sabine Soumare, les femmes ont du mal à naviguer face à la pléthore d’informations et de ressources disponibles afin de faire leurs demandes. Au-delà d’identifier les obstacles, encore faudrait-il s’assurer que ces obstacles sont pris en considération lorsqu’on développe les programmes de financements. À charge aux organismes de relayer ces informations aux instances gouvernementales. Si on veut doubler le nombre de femmes entrepreneures, cela passe inexorablement par le financement, surtout de celles qui y ont encore moins accès, à l’instar des femmes immigrantes. 

Sabine Soumare termine par une démonstration de la Plateforme de partage développée par le PCFE et lancée le 4 juin 2020 suite à la COVID-19. Interactive, gratuite et bilingue, cette plateforme dédiée aux femmes entrepreneures dans tout le pays ainsi qu’aux organismes qui les soutiennent, permet aux femmes de s’adresser aux autres membres de la communauté pour accéder à leurs expertises et connaissances en demandant ou en faisant un don. La plateforme continue de s’agrandir et à ce jour compte plus de 500 membres. 

Le webinaire se poursuit par une séance de questions/réponses fortes intéressantes qui ont permis de noter par exemple la nécessité de repenser les systèmes existants au lieu d’essayer d’amener les femmes à entrer dans des systèmes qui les handicapent. Enfin, bien qu’il s’agissait d’une conférence sur l’entrepreneuriat féminin, il est essentiel d’inclure les hommes dans ces transformations pour que tout le monde y gagne. 

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